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Plongée souterraine : un spéléonaute, c’est quoi ?

La plongée souterraine : interview avec Hervé Cordier

Nori et moi-même avons effectué, en juin dernier, une passerelle d’instructeur SSI/PADI vers le Monitorat Fédéral 1er degré de la FFESSM (Fédération Française d’Études et de Sports Sous-Marins), une première au niveau mondial. Durant ce stage intensif d’un peu plus d’un mois, nous avons eu la chance et l’honneur de plonger en compagnie de deux instructeurs nationaux : Christian Ferchaud et Hervé Cordier.

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Un spéléonaute qu’est-ce que c’est ?

Chaque mardi, nous mettions en place des apéros débat sur un thème autour de l’écologie. Hervé étant parmi nous, l’une de ces soirées a été consacrée à la plongée souterraine. L’occasion pour le plus grand nombre de découvrir cette branche méconnue de la plongée puisqu’il s’agit de plongée sous-marine dans… des grottes et autres résurgences !

Loin de nos standards de plongée loisir, on découvre alors un autre monde subaquatique fait d’une grande rigueur de planification, d’organisation attentive des plongées en amont, d’un engagement physique et mental total et de matériels qui nous semblent presque faits pour explorer l’espace plutôt que les cavités terrestres !

Hervé nous a alors présenté deux films sur des explorations menées dans la grotte de Corveissiat (Ain) et d’une première mondiale en Chine dans la région de Du’An .
Un monde totalement différent s’ouvre alors à nous, voir la vie de vrais explorateurs des temps modernes, qui vont là où personne d’autre n’a été auparavant ! Cela parait incroyable de savoir qu’il y a encore des endroits sur terre qui sont si mystérieux !

Combien de temps prend l’organisation d’une plongée souterraine ?

Hervé : Tout dépend de la plongée. Pour une plongée de promenade dans une cavité connue et déjà équipée d’un fil d’Ariane (qui permet de retrouver le chemin de la sortie à coup sûr), il faut compter une demi-journée de préparation, voire moins. En revanche, pour une plongée engagée, par exemple quand on prévoit d’aller dans des endroits reculés et à plusieurs kilomètres sous terre pour découvrir des zones souterraines inconnues, cela peut prendre plusieurs jours, voire plusieurs semaines… un peu comme une expédition d’alpinisme !

Comment recherchez-vous des sites qui sont encore inexplorés comme lors de ton expédition en Chine ?

Hervé : Il n’y a pas de règles précises. Pour nos expéditions en Chine, nous avons découvert le lieu sur Internet. Un spéléologue français que nous ne connaissions pas a diffusé, sur un site spécialisé en plongée souterraine, des images de sources d’eau nombreuses dans une zone reculée de Chine. Il affirmait qu’il y avait un potentiel de dingue dans cette zone pour des explorations !

Dans d’autres cas, en France notamment, il existe des ouvrages qui recensent les grottes et sources d’une région donnée. Parmi celles-ci, certaines ne sont connues que sur une courte distance et le récit d’exploration indique : « arrêt sur rien » ou « arrêt sur siphon ». Ce qui veut dire, dans notre jargon, que la grotte continue et attend juste qu’on soit assez motivé pour y aller ou que l’on ait l’autorisation d’y aller (ex. : dans ce reportage).

Dans d’autres cas encore, plus rares, des collègues spéléologues nous appellent, car ils ont découvert une grotte ou une source et ont besoin de plongeurs pour continuer l’exploration.

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Ces plongées sont très spécifiques, car il y a des passages en dehors de l’eau et sous l’eau à des profondeurs très variables. Quelles sont les tables que vous utilisez ? Comment ont-elles été établies ? D’ailleurs, peut-être continue-t-on de les améliorer ?

Hervé : Cela fait pas mal de temps que nous n’utilisons plus de tables de plongée pour gérer ce type de plongées. Nous utilisons des ordinateurs « tek » qui n’ont pas de limites de profondeur ou de temps, car nous réalisons régulièrement des plongées au-delà de 100 mètres de profondeur et qui peuvent durer plusieurs heures.

Ces ordinateurs peuvent être paramétrés pour durcir leurs paliers afin de tenir compte des conditions particulières de ces types de plongée (par exemple en jouant sur les fameux GF ou les conservatismes pour les modèles de type VPM). Ces paramétrages spécifiques font l’objet de nombreuses discussions sur les sites internet spécialisés ou sur Facebook, où chacun y va de son propre réglage en indiquant aux autres ce qui semble convenir. Depuis peu, nous disposons d’appareils de mesure permettant, après la plongée, de mesurer le taux de bulles circulantes que nous avons, ce qui nous permet, à la longue, d’affiner nos réglages de décompression.

Au niveau du matériel, je me rappelle de la photo de ta voiture remplie plus qu’à ras bord, on compte quoi par personne ? Deux recycleurs, combien de bouteilles d’oxygène ? D’autres bouteilles ?

Hervé : Le matériel n’est qu’un moyen de réaliser une plongée dans de bonnes conditions de sécurité, pas une fin en soi ! C’est donc bien la complexité de la plongée ou son engagement qui définissent la quantité et le type de matériels que l’on doit emporter.

Au-delà de cela il y a quand même 2 principes de base :

  1. La redondance du matériel strictement nécessaire pour ressortir en cas de problème, car on considère, par principe de sécurité, qu’un appareil respiratoire peut tomber en panne au point le plus lointain qu’on atteindra dans la plongée. On doit donc emporter, a minima, 2 appareils respiratoires indépendants et complets. En pratique, on utilise donc 2 bouteilles avec chacune un détendeur pour une plongée simple et cela peut aller jusqu’à 2 recycleurs fermés (voire plus…) indépendants avec au moins 5 blocs complets : 2 d’oxygène et 2 de diluants (nitrox ou trimix selon la profondeur de la plongée) pour alimenter chaque recycleur, ainsi qu’un bloc supplémentaire « en sécurité ». On n’oublie pas d’emmener également assez de lampes de plongée pour y voir quelque chose pendant toute la plongée et de prévoir un masque de plongée en plus.
  1. Le type de plongée que l’on souhaite réaliser. Lorsqu’il s’agit de plonger dans une résurgence facilement accessible (ex. : près d’une route ou dans un jardin public) pour laquelle il n’y aura pas besoin de ressortir de l’eau, on prendra plutôt un ou plusieurs propulseurs sous-marins pour faciliter la progression et permettre d’aller plus vite. En revanche, lorsqu’on plonge « en fond de trou », c’est-à-dire lorsque la plongée débute après une progression spéléologique dans une grotte, voire qu’il est nécessaire d’avoir ce type de progression entre 2 plongées, il est nécessaire d’emporter du matériel spécifique comme des cordes, un baudrier ou des mousquetons pour sécuriser et permettre cette progression. De plus, dans ce type de plongée, on va chercher à n’emmener que le matériel strictement nécessaire afin de limiter le poids à porter.

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Au niveau des combinaisons, est-ce que c’est toujours de l’étanche ? Et pour le ravitaillement ? Comment tenir toutes ses heures sous l’eau ? Avec des boissons sucrées ? Barres de céréales ?

Hervé : À part dans les zones tropicales, quand l’eau des sources est à une température supérieure à 22°C, on plonge en combinaison étanche, car les plongées souterraines sont souvent assez longues (de 1 à plusieurs heures). En France, par exemple, les eaux souterraines ont une température entre 2°C (dans le Vercors en hiver par exemple) et 14°C (en Ardèche ou dans le Lot). La combinaison étanche est alors incontournable… voire même avec un gilet chauffant en dessous et des grosses polaires !

Pour le ravitaillement, après avoir testé pas mal de choses, on peut confirmer que le meilleur compromis sont les boissons énergétiques et les barres de céréales… comme les sportifs qui font des efforts longs type marathon.

Comment se passe la cartographie des sites ? Comment se repère-t-on avec le fil d’Ariane ? Comment ensuite se fait l’entretien de sites, du fil ?

Hervé : Pour cartographier les sites de plongée souterraine, on peut procéder de plusieurs manières en fonction de ses moyens :

  • Le plus simple est d’utiliser une boussole, un profondimètre et un fil d’Ariane métré. Le fil d’Ariane métré, tous les 10 mètres au minimum, est fixé dans la cavité. À chaque repère de distance, on mesure la profondeur, l’azimut du fil et le profil de la cavité à cet endroit. Ces informations sont ensuite retranscrites dans un logiciel de visualisation 3D (ou sur un plan papier pour les plus nostalgiques… ou les artistes) afin de visualiser la cavité.
  • Il existe maintenant des appareils électroniques qui permettent de mesurer, au fur et à mesure de la progression en plongée, la distance parcourue et la direction suivie. Ces informations sont ensuite reportées automatiquement dans un logiciel de visualisation 3D. On y gagne en rapidité de topographie et en précision de mesure.
  • Enfin, il existe quelques rares appareils permettant, en plus de mesurer la distance et la direction suivies, de visualiser en 3D le profil de la cavité, soit en filmant en 3D et en analysant les images, soit en utilisant des sonars 3D. Ces appareils sont très rares et réservés à des bricoleurs hors pair.

Même lorsqu’on ne fait pas de topographie, on place toujours un fil d’Ariane dans les cavités sous-marines que l’on explore afin d’être sûr de retrouver la sortie, même en cas de faible visibilité (ex. : en cas de panne de lampe ou lorsqu’il y a beaucoup de particules en suspension). Tous les plongeurs souterrains apprennent très tôt à disposer correctement un fil d’Ariane et à vérifier celui en place. Si ce dernier présente le moindre risque de rupture, s’il est usé par exemple, chaque plongeur souterrain autonome sait en placer un nouveau en bon état. L’entretien des fils d’Ariane se fait donc naturellement par tous les plongeurs souterrains même si, dans certains endroits particulièrement fréquentés, ce sont souvent les moniteurs professionnels ou les fédérations qui assurent le renouvellement ou l’entretien de ces fils.

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J’aimerais que tu me racontes si possible, comment vous est venue l’idée des premiers recycleurs ? Ça parait tellement incroyable d’avoir été pionnier dans cette invention !

Hervé : Tout d’abord, nous n’avons (malheureusement) pas inventé les recycleurs. Le recycleur est une invention qui date du début du XIXe siècle… c’est-à-dire bien avant l’invention du détendeur de plongée. Nous avons juste commencé nos explorations à une période où la construction d’un recycleur devenait possible grâce aux matériaux disponibles. En France, ce sont surtout des gens comme Frédéric Badier (avec son recycleur « Joker »), ou Olivier Isler qui ont commencé à développer des recycleurs pour pouvoir aller plus loin et plus profond en plongée souterraine. Nous sommes arrivés juste après ces précurseurs et avons réutilisé leurs inventions en les perfectionnant par petites touches grâce à des bricoleurs de génie (comme Bernard Glon par exemple) ou à nos propres « dons » en bricolage avec, dans ce dernier cas, de nombreux essais… pas toujours concluants.

On sait que ces plongées très extrêmes ne sont pas sans risques, le pire est-il donc toujours envisagé dans la planification des plongées ? Est-ce que l’on a peur, parfois ?

Hervé : La peur est, en réalité, quelque chose de beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Elle commence souvent par un état d’hyper vigilance, qui est plutôt positif car il permet de rester concentré sur ce que l’on fait en intégrant le plus d’éléments possible. Lorsque l’inquiétude survient, c’est souvent que quelque chose ne se passe pas comme prévu ou souhaité. Si ce stade d’inquiétude est dépassé, cela peut aller jusqu’à ressentir la peur.

Comme on le voit, la peur est ressentie uniquement lorsqu’on ne maîtrise pas ce qui se passe. On cherche donc à prévoir le maximum de choses en préparant minutieusement nos plongées et en s’entraînant autant que faire se peut pour limiter au maximum les choses qu’on ne maîtrise pas et éviter ainsi de ressentir la peur.

Donc, oui, la peur existe, mais nous faisons tout pour ne pas la croiser lors de nos plongées !

Est-ce que finalement savoir que l’on est allé au-delà de toute autre exploration humaine vaut la peine de prendre tous ces risques ?

Hervé : Lorsque je pars en exploration souterraine, je reste convaincu que le risque le plus élevé auquel je suis soumis se situe lors de la phase de transport entre chez moi et le départ de la cavité, quand je prends ma voiture pour m’y rendre !

En effet, le matériel emporté, les entraînements physiques et techniques vécus et, plus généralement, la préparation mentale, physique et technique sont là pour ramener le niveau de risque de ma pratique à un niveau « résiduel », c’est-à-dire à un niveau comparable à celui d’une ballade dans une forêt inconnue.

Alors qu’en prenant la voiture, il y a beaucoup plus de paramètres que je ne maîtrise pas le moins du monde comme… les autres conducteurs et leur comportement parfois incompréhensible !

Bref, je préfère reformuler la question en demandant si ces tonnes de matériels, ces méga heures de préparation ou ces longues périodes d’entraînement valent la peine face à ces quelques minutes où l’on passe de l’autre côté de la barrière impalpable de ce qui est connu, où l’on avance vers l’inconnu en le repoussant tel un tas de sable et où l’on recule les frontières de notre monde en se demandant si elles ont une limite. La réponse est finalement très simple : sans hésitation oui !

Quels sont tes projets futurs ? (Mis à part venir nous voir !!!)

Hervé : Il se pourrait bien que ce soit de venir vous voir et d’en profiter pour visiter des grottes immergées pour savoir si certaines peuvent être explorées…